PLANÈTE
La consommation de viande en Europe a doublé depuis les années 50. Les pays émergents suivent la même trajectoire. Mais l’élevage actuel consomme déjà énormément d’eau, de terres et de céréales.
Fin des années 50, un Belge consommait en moyenne 150 g de viande par jour. En 2013, il a mangé le double, et cette tendance est en train de gagner la Chine, le Brésil, la Russie, et tous les autres pays de la planète dont le niveau de vie est en augmentation. L’industrie qui a fourni l’année passée près de 310 millions de tonnes de viande de par le monde devrait donc logiquement intensifier l’élevage et combler ces nouvelles et lucratives attentes, à une limite près : son usage intensif de ressources naturelles.
La production mondiale de viande et d’alimentation destinée au bétail consomment à elles seules 70 % des réserves d’eau fraîche de la planète, un tiers des 14 milliards d’hectares de terres cultivées, et 40 % des productions annuelles de maïs, blé, seigle et avoine. " Si la consommation de viande devait continuer à augmenter aussi rapidement, il faudrait deux fois plus d’eau qu’aujourd’hui pour faire pousser suffisamment d’alimentation en 2050 ", explique Adrian Bebb de l’ONG Friends of the Earth qui a publié jeudi l’"Atlas mondial de la viande" pour dénoncer l’impact environnemental de cette industrie massive et les risques pour la santé d’une production aussi difficilement contrôlable. " Il est tout simplement impossible que tout le monde mange autant de viande qu’en Europe. La population mondiale augmente, les réserves en eau potable sont limitées, et 2,5 milliards d’individus vivent déjà dans des zones de stress hydrique. " Sans parler de l’impact sur l’alimentation d’une telle monopolisation des terres, de l’usage intensif de nitrates et autres produits chimiques répandus sur des milliers d’hectares pour fertiliser les champs, et de l’impact climatique de l’élevage intensif, responsable selon la Food and Agriculture Organization des Nations unies (FAO) de 15 % des émissions globales de gaz à effet de serre.
" La production de viande est devenue tellement importante qu’elle est dangereuse pour l’environnement, et tellement globalisée qu’elle est incontrôlable pour les consommateurs ", poursuit Adrian Bebb. " La taille des fermes a augmenté, leur nombre a diminué, et les multinationales brésiliennes ou américaines peuvent désormais tuer et exporter en une journée des millions d’animaux dans le monde entier sans que le consommateur puisse déterminer dans quelles conditions les porcs, bovins et autres poulets nourris au grain, au fourrage et aux antibiotiques ont été élevés ."
Consommer moins de viande
Contenir la demande serait une idée judicieuse, mais les consommateurs européens et américains peuvent difficilement demander aux classes moyennes des pays émergents de limiter leur propre consommation de viande. Il semble donc inévitable que les premiers réduisent les quelque 260 grammes de viande engloutis quotidiennement pour provoquer une diminution ou une stagnation de la consommation globale.
" On ne peut pas forcer les gens ", regrette Marta Messa du mouvement Slow Food. " L’alimentation est un sujet personnel et difficile à aborder, mais nous n’avons pas le choix. Le système comme il existe est tout simplement intenable. Il faut inciter les gens à acheter différemment et recréer le lien entre producteurs et consommateurs pour cesser de soutenir une production industrielle. C’est un bon moyen de faire pression sur l’industrie et d’inciter les autorités à changer les règles ." Les règles, justement, ne sont pas si évidentes à modifier. Les enjeux économiques sont considérables. Des millions de producteurs "durables", en Afrique notamment, n’ont pas accès au marché, et " les tractations commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis risquent d’entraîner une révision à la baisse des réglementations sur l’élevage et l’alimentation des deux côtés de l’Atlantique ", précise l’Atlas. Ce qui renforcerait de facto la position dominante de l’industrie. " Le système a besoin d’antibiotiques, de tarifs douaniers accessibles et de solutions abordables pour se débarrasser des déchets issus de l’élevage ", conclut Bastian Hermisson de la Fondation Heinrich Böll qui a coécrit l’ouvrage, " tant que tout cela restera bon marché, on ne pourra pas faire grand-chose ".